En représailles aux idées patriotiques du village et aux soupçons de résistance qui pèsent sur certains habitants, les allemands engagent une opération punitive contre Comblanchien
- ▪ Le récit détaillé des événements ▪ Le bilan du drame ▪ Les témoignages ▪ Les obsèques des victimes ▪ Le devoir de mémoire (commémorations, le monument) ▪ L’image ▪ Les responsables de ce massacre ▪ La galerie photos ▪
LE RECIT DETAILLE DES EVENEMENTS
Les idées républicaines et progressistes qui dominent à Comblanchien sont bien connues dans le secteur et notamment par les auxiliaires locaux des partis de la collaboration. L’un d’entre eux, le jeune A.B est originaire de Comblanchien, et membre de la Ligue française de Costantini. Il séjourne de temps en temps au village où il épie, où il écoute.
Le 27 avril 1942, André Lefils, militant communiste, est fusillé à Dijon. Cette exécution est considérée par les allemands comme une première. Pour eux, c’est évident et déclare que Comblanchien « ce village de carriers et vignerons » est un village « terroriste ». Premier avertissement ! Mais la lutte continue.
En 1943/44 des organisations de résistances naissent à Comblanchien : groupe F.T.P. d’Arcenant et Armée secrète de Comblanchien et Corgoloin. Au total c’est une vingtaine d’hommes du village qui participent au combat clandestin. Pour les allemands, Comblanchien est de plus en plus un village « terroriste » et ce n’est pas pour rien que le Capitaine Schoning s’installe avec ses gardes-voies au Château Deslandes au printemps 1944. En effet, ces hommes n’ont-ils pas déclarés à une fermière du village de Prissey, où ils cantonnaient auparavant : « Nous, partir Comblanchien, parce que village terroriste ! » Deuxième avertissement ! Au début de l’année 44, afin de lutter contre le « terrorisme » la Gestapo enrôle des membres de la ligue Costantini dont le jeune A.B. natif de Comblanchien. On imagine la suite logique des événements… Mais l’allemand est aux abois, il sent la victoire lui échapper car l’armée française approche. Il est temps d’agir !
Nous sommes le lundi 21 Août 1944. Pour les allemands, Comblanchien doit payer le prix de son attachement aux valeurs républicaines et patriotiques… La nuit la plus longue va commencer.
Elle aurait pu s’appeler une belle nuit d’été, car la journée avait été inondée par un chaud soleil. Vers 20h30 / 21h, les garde voies allemands du château Des landes parcourent certaines rues du village. Pour les quelques témoins qui les aperçoivent,c’est une heure inhabituelle et de plus ils paraissent en état d’ébriété ! Peu avant 21 heures, heure du couvre-feu, Claude Henry et Henry Robert venant de Nuits-St-Georges à bicyclette constatent avec inquiétude, la présence de camions vides, stationnant côte de Premeaux, côté Comblanchien. A l’opposé côté Corgoloin, face à la Société Française des Nouvelles Carrières, quelques camions stationnent également. Ces véhicules se trouvant hors agglomération, c’est secrètement que le dispositif répressif se met en place. Vers 21h40, coups de fusil se font entendre ; les balles sifflent, incendies ça et là quelques hangars de paille. Des témoins qui se hasardent à sortir, remarquent avec stupeur que des soldats très excités courent dans les rues, tirent au hasard et en l’air ! Ce sont les garde voies allemands du château, aperçus tout à l’heure, qui simulent une attaque de la résistance afin de masquer l’opération punitive. Ce sera la seule mission effectuée par la garnison allemande de Comblanchien. Contrairement à leur version, aucun résistant n’était présent au village. Il est 22 heures, Comblanchien va subir l’assaut de deux groupes de soldats, l’un venant de Beaune composé d’une trentaine de Feldgendarmes de cette ville, l’autre, 80 soldats environ venu d’un train stationnant au bas du village entre Comblanchien et Prissey. Des postes de mitrailleuse sont installés en trois points du village.
Comme souvent, dans ce genre d’opération, les allemands sont accompagnés d’auxiliaires français ; quelques témoins affirment en avoir reconnu et entendu parler français. Sur la route nationale et rue de l’église, la répression est brutale, portes et habitations sont forcées et les habitants terroriser, se trouvent face à face avec une bande de soudards, parfois ivres et criant : « terroristes …terroristes ! » Ils incendient les habitations, expulsent violemment leurs occupants et les conduisent sous bonne garde sur la place de l’église. Bien entendu, les maisons vides de leurs occupants qui ont pu fuir avant l’arrivée des incendiaires en se réfugiant dans les vignes mitraillés de toute part, sont systématiquement incendiées. Aux yeux des allemands, s’ils ont fui, ces gens sont tout simplement des « terroristes ». Il va de soi, que les maisons, avant d’être incendiées sont pillées. Quand aux soldats du train, ils progressent d’est en ouest à travers champs et vignes et procèdent à la même « besogne » que ceux opérant sur la route nationale. Cependant, il semble que la rage et la haine qui étreint les soldats du convoi routier soient, dans certaines maisons moins ressenties que les habitants route nationale ou rue du miroir. Alors que les Feldgendarmes sont en uniforme et casqués, les soldats du train arborent une tenue plus laxiste voir débraillée.
Craignant peut-être une attaque de quelques « terroristes » dissimulés, les cours sombres, fermées par de grosses grilles, ne sont pas visitées de même que les bâtiments municipaux. Certaines maisons sont épargnées volontairement par les allemands, ce qui souligne le but répressif de l’opération menée obligatoirement avec l’aide d’auxiliaires français. Comme indiqué plus haut, tous les habitants, quelques uns pieds nus ou peu habillés, car certain ont été surpris au lit, sont rassemblés place de l’église et là, dans l’inquiétude et la peur des ordres fusent. Soldats de la route et ceux du train ne semblent pas d’accord. Quelques uns tentent d’ouvrir la porte de l’église, mais celle-ci résiste aux coups de bottes et de crosses. Devant cette impossibilité, car le pire étant à craindre, la population est dirigée par la rue de l’église vers la place de la mairie. En cours de route, la famille Henry Robert et Armand Gilles réussissent à s’échapper du sinistre cortège, en fuyant les uns à travers le parc municipal actuel, à l’époque très broussailleux, l’autre, par une grille ouverte sur une cour. Coup de fusil, personne n’est atteint.
Place de la mairie, un tri s’opère : 23 hommes de 15 à 70 ans sont rassemblés et conduits au train qui stationne à l’est du village. Femmes et enfants sont dispersés au sud de la localité.
Il est minuit, l’opération est terminée ; cependant, toutes les maisons non incendiées sont visitées. Un contrôle d’identité plus ou moins musclé est opéré (canon d’arme sur la poitrine) ainsi que quelques rapines, et vers 4h30 les soldats du convoi routier reprennent la direction de Beaune. Au petit jour, le train s’ébranle en direction de Dijon emmenant nos 23 otages à la prison de la rue d’Auxonne à Dijon. En ce lieu, l’un des détenus reconnaît notre jeune A.B. discutant avec les allemands, ce même jeune homme qui « épiait le village » avant l’incendie et qui a dû y prendre part ! L’un des otages, Eugène Roussée, cantonnier, patriote lorrain qui a refusé de porter l’uniforme allemand en 1914, s’adressant en allemand à l’un des gradés et lui demandant les raisons incompréhensibles de cette tragique répression, s’est entendu répondre « Les bons pâtiront pour les mauvais ». Une fois de plus, la preuve du caractère répressif de l’opération est irréfutable ! Après une nuit terriblement angoissante et un interrogatoire, douze hommes sont libérés et rentrent à Comblanchien. Onze hommes sont dirigés vers l’Allemagne, mais deux s’évaderont en cours de route, les neuf autre autres rentreront an printemps 1945 ; ils ne connaîtront pas les sinistres camps de la mort, mais reviendront terriblement diminués. Ce sont : Gaston Cartelade, Gaston Chopin, Albert Lefils, André Barle, Jean Bligny, Lucien Picard, Giuseppe Fistarol, Ugo Fistarol, et Jean Leroy.
LE BILAN DU DRAME
8 personnes sont assassinées:
Jeanne Chapuzot, 68 ans, matelassière, veuve. Assassinée à coups de crosse près de la cheminée de la chambre.
Mathilde Voye, 46 ans, vigneronne, fille de Madame Chapuzot, veuve. Assassinée d’une balle dans l’œil, sur les marches extérieures de la chambre.
Max Henry, 40 ans, marié, comptable. En ouvrant la porte à laquelle les allemands frappaient, a été immédiatement assassiné par une rafale d’arme automatique.
Claude Henry, 20 ans, étudiant, célibataire,fils de Max,.caché avec sa sœur dans le sous-sol de la maison, est sorti dès qu’il a entendu les coups de feu qui ont abattu son père. Parlant allemand, et s’interrogeant sur l’horrible spectacle qui s’offrait à ses yeux, l’un des soldats lui demanda s’il possédait des armes ; répondant par la négative, il invita le soldat à visiter la maison, et c’est en redescendant de l’étage, que son bourreau l’abattit d’une balle dans la nuque. Claude et Max étaient fondateurs du groupe « Armée secrète de Comblanchien Corgoloin »
Joseph Blanc, 57 ans, retraité de la T.C.R.P (transports parisiens), marié, domicilié à Prissey. Caché dans les vignes, en face de sa maison, et voulant s’enquérir du sort de sa famille, s’est montré et a été abattu.
Marcel Julien, 18 ans, tailleur de pierres, ouvrier agricole au moment du sinistre, célibataire, abattu près de la grille de la ferme Durand où il travaillait alors que les allemands du train arrivaient. Les bourreaux auraient-ils eu un remord ? Car ils prirent la précaution de le déposer sur un lit ;ses patrons le retrouvèrent le lendemain, baignant dans une mare de sang
Adrien Simonnot, 72 ans, casseur de pierres, célibataire. Assassiné sur le pas de sa porte. Il aurait insulté les soldats qui rejoignaient le train.
Blaise Lieutard, 60 ans, marié, retraité SNCF. S’est enfui après avoir ouvert la grille de la propriété ; a été abattu dans le dos, alors qu’il tentait de franchir une clôture (un fuyard était considéré comme un suspect) Son épouse mourra de chagrin l’hiver suivant.
Il faut aussi ajouter à cette liste, Monsieur Frédéric Bouchard, maire de Prissey, chez qui, les allemands du train, principalement, ripailleront une partie de la nuit ! Profondément meurtri par ces évènements au cours desquels son gendre, Jean Confuron failli perdre la vie, il décèdera l’hiver suivant.
CINQ BLESSES
Pierre Cochat, 43 ans, garde-champêtre, marié. Mis en joue contre une maison, s’est enfui par une montée d’escalier en feu ; côtes blessées par les balles, il sautera par la fenêtre de la maison avec ses locataires.
Germaine Mennasol, 22 ans, mariée.
Louise Boissard, vigneronne, 40 ans, célibataire( belle sœur de Monsieur Blanc).
Simone Blanc 24 ans, sténo-dactylo, célibataire,( fille de Monsieur Blanc).
Manuel Pallarès, 44 ans, marié, grièvement brûlé.
52 bâtiments incendiés, 200 personnes sinistrées
Cinquante-deux bâtiments ont été incendiés, dont cinq hangars agricoles, deux récoltes ont été anéanties. Deux cents personnes ont été sinistrées.
CONCLUSION
Le bilan aurait été plus lourd si les vignes n’avaient pas offert aux habitants qui ont pu fuir, des refuges, et si l’opération avait eu lieu la journée !
60 ans après, le 21 août 2004, les habitants qui ont vécus le drame se sont réunis à l’occasion d’une photo pour la presse.
Claire VOGEL 17ans en 1944: « Ma mère et moi avons sorti les deux corps de la maison en flamme afin qu’ils ne soient pas brûlés »
« Dès les premiers coups de feu, mon frère Claude et moi, nous nous sommes réfugiés dans le sous-sol. Lorsque les Allemands ont frappé à la porte de notre maison, mon père est allé ouvrir, il a été immédiatement abattu à bouts portant par une rafale de mitraillette dans la tête. Mon frère Claude entendant ces coups de feu, est sorti du sous-sol. Parlant allemand, il a pensé faire face à la situation, en discutant avec les soldats. Face à eux, il dit à ma mère : « Ils demandent si nous avons des armes » (pendant ce temps des soldats regroupaient tout ce qui pouvait brûler). Mon frère leur fit visiter la maison ; il monta à l’étage avec un soldat, et je me souviens, étant sortie du sous-sol, mais restée dans la cour, avoir vu mon frère discuter avec un soldat casqué, derrière une fenêtre au premier étage de notre maison . C’est en descendant de l’étage que mon frère Claude a été abattu par l’allemand qui l’accompagnait, d’une balle dans la tempe. Ma mère et moi avons sorti les deux corps de la maison en flamme afin qu’ils ne soient pas brûlés. Puis nous nous sommes enfuis, avec notre immense chagrin dans le jardin attenant à la maison. Jusqu’à la fin de mes jours, je n’oublierai jamais ce moment. Je pense que les Allemands ignoraient que mon père Max et mon frère Claude faisaient partie de la Résistance. (Armée Secrète). »
Renée BAUDOT 26 ans en 1944: « maman a ramassé sa sœur Mathilde qui gisait sur les deux premières marches »
« Un cheminot de Nuits St Georges, terminant son service vers six heures du matin le 22 août, nous apprit ce qui s’était passé à Comblanchien ; aussitôt nous décidâmes de partir à Comblanchien à bicyclette, avec Monsieur Travaillien qui arrivait de Comblanchien, lui même sinistré et qui venait nous prévenir.
Arrivés à la maison de mes grands- parents, située en bordure de la RN 74, presque en face de l’hôtel-restaurant du Balcon, celle-ci n’avait pas été incendiée (c’est la seule du quartier) mais, à l’intérieur, l’horreur était à son comble : maman a ramassé sa sœur Mathilde qui gisait sur les deux premières marches extérieures, tuée d’une balle dans l’œil. Quant à ma grand- mère, elle gisait devant la cheminée, assommée dans le dos probablement à coups de crosse ! »
Henry ROBERT 24 ans en 1944 « Les Allemands embusqués, nous ont repérés, et laissés entrer dans le piège tendu ».
« Ce 21 août 1944, il est environ 20h30, nous revenons de Premeaux, Claude Henry et moi. C’est une belle journée d’été et le soleil se couche dans la tranquillité d’un ciel calme et pur. Nous devisons l’ un et l’autre, et malgré la gravité des évènements, nos cœurs sont pleins d’espérance, espoirs de libération et de liberté retrouvées. L’armée allemande est en retraite et nous savons au fond de nos cœurs que la Bourgogne et la France tout entière seront bientôt libérées. Nous arrivons ainsi près de la maison Confuron, située à l’angle de la rue de Prissey, et là, un certain nombre de camions allemands vides de soldats, s’offre à nos yeux. Etonnés et inquiets, nous en faisons la remarque.
Quelques deux cents mètres plus loin, nous nous quittons, il arrive chez lui. Je ne devais plus revoir mon ami Claude, abattu avec son père, sous les yeux de sa sœur et de sa mère, à côté de leur maison en flammes.
En quelques coups de pédales, me voici à la maison, où inquiète, ma femme m’attend. Il ne passe que très peu de temps, avant que les premiers coups de feu n’éclatent, venant de tous côtés.
Les camions vides de Premeaux !
Il semble évident, que lorsque nous, Claude et moi, entrons dans Comblanchien, le village est déjà complètement bouclé, et que les Allemands embusqués, nous ont repérés, et laissés entrer dans le piège tendu.
A partir de là, tout se déroule très vite, les coups de feu se multiplient et bientôt des lueurs d’incendie s’allument en bas de Comblanchien vers la plaine.
Bientôt aussi, des cris, des bruits de bottes, des coups de feu, des grenades claquent tout près. Au travers des volets fermés, j’aperçois les premiers soldats, armés, casqués, bottés. Alors, comme dans un film d’épouvante, je les vois défoncer les portes, pénétrer dans les maisons voisines. Ils bousculent et frappent sans ménagement, hommes et femmes et aussitôt mettent le feu. Les maisons brûlent comme des torches. Le café du Balcon, les maisons Chapuzot et Pallarès sont en flammes.
Mais bientôt c’est notre tour et la porte d’entrée massive, cède sous les coups de crosse répétés et l’éclatement d’une grenade, ouvrant le passage à trois soldats qui se précipitent sur moi en me mettant en joue. Sans plus attendre ils mettent le feu, alors que nous sommes encore dans la maison.
Poussés, bousculés, ma femme, Jean-Pierre ( 22 mois) dans mes bras, nous nous retrouvons près de l’église, avec nos voisins, dont certains surpris alors qu’ils viennent de se coucher, sont à peine habillés.
Bientôt nous nous retrouvons nombreux, hommes, femmes et enfants, parqués comme du bétail et menacés par les armes des soldats excités, quelques-uns sont ivres.
Ils essaient d’ouvrir la porte de l’église, par bonheur ils n’y réussissent pas, et pensent sans doute employer « les grands moyens ».
Partout la fusillade continue, tirs d’armes automatiques, grenades, d’autres maisons flambent un peu partout
Il semble que l’on s’achemine vers une destruction massive du village et que le nombre des victimes va s’allonger.
Dès lors, je contacte mes voisins, mes amis arrêtés comme nous, pour tenter d’échapper à cet étau que je sens se refermer implacablement.
Mais notre position est telle, au milieu du village, et les incendies assurent une clarté qui rend toute fuite risquée, personne n’ose.
C’est alors qu’un jeune garçon (16 ans ) Louis Champeau, se décide à tenter l’aventure, mais le temps passe et je désespère d’avoir l’occasion qui nous laisse une chance de réussite.
Elle va se présenter, brusquement au moment où un Feldwebel en hurlant, fait rassembler les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre.
Il s’agit, paraît-il, de rassembler les prisonniers hommes, sur la place de la mairie. Les Allemands encadrent la colonne, par devant, par derrière, et sur le milieu de la route, aucun le long du mûr du parc, haut de deux mètres, et qui borde la rue.
Le hasard nous facilite les choses, ma femme qui m’a suivi, Louis Champeau et moi même, avec Jean-Pierre, notre fils dans les bras, nous descendons, au milieu de la colonne rasant le mûr, surtout qu’un peu plus bas, avant la mairie, le mûr s’arrête et permet de disparaître à son angle et de pénétrer dans le parc. Il est vrai que nos compagnons d’infortune au courant de notre projet ont resserré les rangs autour de nous, pour faciliter notre entreprise. Elle réussit, malgré l’intervention un peu tardive de deux soldats qui tirent sur nous sans nous atteindre, et n’osent pas nous poursuivre au travers du parc.
Peu après, nous réussissons à traverser la route nationale, puis à pénétrer dans les vignes, au milieu desquelles, rang après rang et avec la plus grande prudence, nous nous éloignons de notre malheureux village, jusqu’à la limite des carrières et du bois.
Là, nous nous arrêtons, et, bouleversés, nous voyons Comblanchien éclairé par les lueurs d’incendie, une cinquantaine de maisons brûlent, ainsi que des granges, des écuries, des bâtiments agricoles. Nous entendons des coups de feu, des tirs d’armes automatiques, des cris d’habitants affolés, des ordres hurlés par des soldats déchaînés, ivres de sang et de vin.
Nous sommes sans nouvelles de nos parents, des oncles, tantes et amis pour lesquels nous avons les plus grandes inquiétudes, nous savons parce que dans la traversée du parc, nous avons vu leurs maisons brûler, qu’ils sont là dans la nuit, cachés, prisonniers, blessés ou morts, et nous tremblons pour eux.
Nous tremblons aussi, pour tous les habitants du village. Qu’arrivera-t-il, si demain au petit jour, les Allemands sont encore là ?
Nous gagnons le village voisin de Chaux, où Monsieur et Madame Paul Bonnaire nous accueillent avec une grande gentillesse, dont nous gardons le souvenir cinquante ans plus tard. »
Mme PASCALE avait 35ans en 1944 « les balles sifflaient au dessus de nos têtes ; maman ne pouvait plus nous suivre »
« Vers 22 heures, nous voyons le feu au cœur du village, sans savoir pourquoi. A 22h30 les Allemands arrivent chez nous à la maison de mon père Blaise Lieutard, 61 ans, en criant, fous furieux et ivres ! Ils donnent l’ordre d’ouvrir la porte du jardin, papa arrive vers eux et demande ce qu’il voulait ; sans une réponse, ils tirent sur lui une rafale de mitraillette, suivie d’un grand cri, il est mort !
Quant à nous, nous nous sommes cachés dans le petit atelier de papa situé à côté de la maison, sans qu’ils nous voient, grâce à la présence d’une haie de roseaux. Ils criaient, cherchaient à tuer ; c’est à coups de grenades que la maison a été incendiée ! La chaleur était épouvantable, et pas question de bouger, ils nous auraient tués ! Enfin ils sont partis, et en avons profité de partir dans les vignes du côté de Corgoloin, en rampant sur le ventre ; les balles sifflaient au dessus de nos têtes ; maman ne pouvait plus nous suivre.
Le calme est revenu au matin du 22, avec la perte de papa, plus de maison, plus d’argent, plus de vêtements. J’étais seulement en combinaison, comme il faisait chaud, et que j’étais sur le point d’aller au lit. C’est un monsieur qui m’a prêté sa veste, et nous avons été hébergés par la mairie en attendant du secours.
Maman est morte de chagrin, n’ayant pu survivre à cette vision, et André avait perdu la parole ! Je n’oublierai jamais et jusqu’à ma mort, je resterai avec mon chagrin »
Jacky CORTOT 11 ans en 1944 » Ma mère s’écria: Partons, ils brûlent les gens dans les maisons ! »
» Le soir du lundi 21 août 1944, vers 21h30, pendant que nous finissions de manger, des coups de feu éclatèrent. On a pensé sur le moment que ces coups de feu étaient tirés par la patrouille allemande à l’encontre d’un voisin qui ne fermait pas ses volets, les camouflages des lumières étant de rigueur à cette époque. Puis une accalmie survint, nous partîmes nous coucher, mais pour très peu de temps: les coups de feu reprirent, fusils et armes automatiques. Vite debout ! Que se passe t-il donc ? L’électricité s’éteignait puis revenait. A la faveur de l’obscurité, je montai sur le bord intérieur de la fenêtre de notre cuisine et je vis que la maison située à l’extrémité de notre rue commençait à brûler. Il semblait que c’était l’incendie d’un hangar de paille construit à proximité qui avait mis le feu à cette maison. Ma mère eut l’idée de faire comme moi, mais du côté opposé, sur la RN 74, du côté du quartier du dessus, comme l’on disait. Elle vit alors une immense lueur au dessus du parc: on entendait des bruits de bouteilles cassées, des cris: « Au secours ! Au secours ! » Cette fois la peur nous étreignit, ma mère s’écria: » Partons, ils brûlent les gens dans les maisons! »
Quelques vêtements rassemblés à la hâte, papiers familiaux, vélo, le tout déposé dans le jardin. Puis c’est l’escalade de 2 grillages de clôture avec nos voisins qui nous avaient rejoints par notre jardin. Lorsque nous avons atteint la vigne et que l’on a commencé à ramper, nous vîmes par une petite fenêtre fermée par un rideau des ombres qui allaient et venaient: les allemands venaient d’entrer dans la maison de nos voisins ! Nous décidâmes alors d’aller à Prissey , village voisin situé à 2kms. Mais arrivé à l’extrémité d’une vigne, un homme nous dit: « Vous ne pouvez pas aller par là , un train stationne sur la voie ferrée ». Il fallut donc se résigner à rester caché dans les rangs de vignes. Nous eûmes tout le temps de regarder le triste « spectacle » qui s’offrait à nous: les maisons situées en bordure de la route nationale n’étaient qu’un vaste brasier; des toits s’effondraient faisant monter au ciel des gerbes d’étincelles. Triste feu d’artifice !
Des balles traçantes sillonnaient le ciel, par intermittence. Par 3 ou 4 prises certaines tombaient tout près de nous en produisant un claquement sec. Ce fut un miracle: ni tué ni blessé parmi les 13 personnes qui se trouvaient avec nous. De temps en temps une petite fille de 8 mois pleurait, sa mère la serrait contre sa poitrine pour étouffer ses cris. En effet à l’entrée sud du village, une mitrailleuse ou un fusil automatique tirait sur le village.
Lorsque le jour pointa, des têtes se montraient au dessus des rangs de vignes, regardant de tous côtés. Sont ils encore là ? Reviendront ils? l’inquiétude grandissait avec la levée du jour.
Puis vers 5 heures du matin nous vîmes notre maison brûler; sans pouvoir rien faire.. Dans notre quartier situé à l’est toute les maisons avaient été incendiées sauf une ! Pourquoi?
Vers 7 h lorsque l’on vit que le calme paraissait revenu, c’est vers cette maison miraculeusement épargnée que nous nous dirigeâmes . Là après une nuit passé caché dans les vignes la maîtresse de maison nous réconforta tous moralement et nous offra son petit déjeuner.
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LES OBSEQUES
L’une des trois photos des obsèques prise à la dérobée par l’instituteur Guy Defossemont le 23 août 44 après-midi. Les autorités allemandes avait en effet interdit toute propagande. Quelques heures plus tard, une foule immense et recueillie assiste aux obsèques des 8 victimes. Un élan de solidarité sans précédent se manifeste dans toute la région ; une antenne du Secours National de Beaune, animée par des bénévoles du village et des villages environnants, est ouverte à la salle des fêtes, épargnée par l’incendie ; ils servent des repas et collectent des vêtements.
LE DEVOIR DE MEMOIRE
Depuis 1945 le devoir de mémoire se poursuit sans relâche. En 1984, la municipalité décide d’apposer des plaques de rue, portant le nom des victimes de 1942 et 1944.
Malgré les ans qui passent, les générations qui disparaissent, le souvenir est toujours présent. Le devoir n’est-il pas de le transmettre, afin de ne plus revoir les horreurs de la guerre, et ses conséquences auxquelles notre Pays et plus particulièrement notre village ont été confrontés, trois fois en 70 ans..
LES COMMEMORATIONS
Un an après, c’est sous un ciel voilé, un ciel de deuil, que se déroule le 21 août 1945, le premier anniversaire de cette nuit tragique .
Défilé des autorités religieuses civiles et militaire dans les rues de Comblanchien le 21 août 1945.
De nombreuses personnalités civiles et militaires sont présentes et notamment le colonel Forbes représentant l’armée américaine, et le célèbre chanoine Kir, maire de Dijon.
La commémoration du 50° anniversaire en 1994, tout comme celle du premier, revêt un aspect solennel et plein d’émotion ; le temps fort aussi de cette cérémonie, c’est l’exposition organisée par la municipalité et des bénévoles sur cette période douloureuse de notre histoire. En 1994, 44 habitants ont encore vécu les évènements.
LE MONUMENT
L’inauguration du monument commémoratif a lieu le 21 août 1948 ; c’est l’œuvre de bénévoles, tailleurs de pierre, artisans et maîtres carriers. C’est aussi cette année la, que Comblanchien est décoré de la croix de guerre avec citation.
L’IMAGE
Cette photo très rare a été prise par un soldat allemand lors de l’incendie et le massacre des habitants du village de Manlay en Côte d’or fin juillet 1944. Ce sont probablement ces mêmes « Feldgendarmes » qui quelques semaines plus tard brûleront Comblanchien . (Photo collection MRN)
QUE SONT DEVENUS LES RESPONSABLES DU MASSACRE ? L’affaire de Comblanchien a fait l’objet d’une procédure devant le tribunal militaire de Lyon. Un non lieu a été rendu le 24 mai 1950, à l’encontre du capitaine Schoning, car aucune charge n’a été rapportée contre lui, de même pour un nommé Sturm.
Selon un témoignage d’un soldat allemand ayant séjourné à Comblanchien, durant l’été 1944, Schoning serait disparu sur le front de l’est. Le sergent-major Ratkje, commandant la section de Comblanchien, a été tué par ses hommes en Allemagne, car il ne voulait pas qu’ils se rendent à l’armée française !
D’après l’Institut d’histoire militaire de Potsdam, un mandat d’arrêt international a été lancé à l’encontre de Schoning, et de trois autres officiers et sous-officiers impliqués dans l’affaire. Cela a fait l’objet d’une procédure devant le Procureur de Cologne, classée sans suite, faute de témoins ! Le dossier relatif à l’affaire de Comblanchien a été transmis aux Ministère des Affaires étrangères à Paris, et n’est consultable, selon la loi en vigueur de 1979 que dans un délai de cent ans à compter de la dernière procédure, soit en 2050…